Que puis-je faire pour toi image des fonds obscurs dont l’humble profondeur cache si peu les ombres ?
Je vois à peine tes bourrelets bleuis au frottement de l’eau qu’ils épousent, ton clapotis se meurt…mais de petites pattes noires écrivent à l’envers sur le miroir de ta surface un lumineux messages : la vie est ici, le soleil en témoigne ! Je sens sa chaleur sur mon corps attentif. Mon appareil à prendre prolonge et magnifie cette écriture bizarre. A prendre et à donner car c’est son objectif et c’est à cela peut-être que ton appel invite ?
Soudain, l’odeur âcre des cailloux qui encombrent ton lit remonte à mes narines, détourne mon visage et m’extrait de ta contemplation ! Toi, la belle éphémère, déjà tu disparais et je reprends ma quête vers une autre jubilation.
A peine quelques pas sur des rochers moussus, même avant de la voir j’ai senti sa présence.
Un flot virevoltant voudrait bien la cacher mais à moi, on ne la fait pas ! Il m’a suffi d’attendre… une oreille d’abord puis la patte griffue ont volé la vedette à d’autres visions plus fleuries qui chantaient déjà dans ma tête. Sa présence éclatante emplit soudain le cadre d’une photo prochaine et en un déclic je volai son portrait. Alors, sans impatience, parce qu’elle venait de naître à ma vue, elle s’offrit en « Créature ».
Brigitte Fort, novembre 2023.
Les mots de Georges Brassens sonnent en musique sur les cailloux d’un ruisseau que je suis depuis des heures déjà, le traversant parfois pour accompagner son flanc droit ou gauche selon l’éclairage ou l’état de la rive, toujours les pieds dans l’eau, parfois même au-dessus des genoux, entièrement concentrée sur le flamboyant spectacle d’illusionniste que jouent ensemble l’eau et la lumière.
Le moindre obstacle les ravit, tout est prétexte à épouser, caresser, déformer les formes rondes ou abruptes d’un rocher couché paresseusement en travers de leur course, ici une racine de tremble, là une branche cassée de cynorrhodon, égarées au fil de l’eau sans aucun secours pour rejoindre leur terre nourricière, plus loin encore un amas de matières inextricables, prémices d’une cascade qui soudainement interrompt le jeu dans un vacarme grondeur et précipite les deux acolytes dans une vasque paisible où leur sidération accordée à la mienne ouvre enfin une voie paisible à la contemplation.
Brigitte Fort (revue Passe Murailles n°3)
Nous n’avons pas fait de ces longs voyages
À travers nuages
Vers un fond du ciel.
Mais je suis resté
Pendant des instants ou l’éternité
Comme de l’eau dans l’eau.
Eugène Guillevic