Introduction à l’exposition de photographies de Brigitte Fort au musée de la Préhistoire de Bélesta
Avec « D’eau et de Lumière », Brigitte Fort s’engage entre 2022 et 2023 dans un parcours d’exploration de la nature et donne à voir une expérience artistique loin des usages documentaires de la photographie.
Dans le prolongement de ses réflexions sur la place de la création dans un monde qui change, sur le nouveau statut des images, Brigitte Fort tout en restant fidèle aux lois du genre aborde la photographie comme la peinture, la transformant en art, avec une ambition affichée, celle de percevoir, sentir pour montrer une parcelle de nature avec toute la part d’incertitude qui résulte d’une confrontation avec le sujet.
Une démarche inattendue dans le cadre exclusif des rivières des Pyrénées et de l’Ariège en particulier où elle vit. Là, dans l’eau vive, arc-boutée elle provoque l’expérience, « en chasse », dans ses bottes, en équilibre instable sur le fond caillouteux du torrent.
Devant la page blanche du cours d’eau, un sujet est là, l’objet photographique en devenir.
À ce stade, les acquis d’une longue pratique de la photographie s’effacent progressivement pour laisser la place à un acte de création régénéré qui part à la recherche de l’insaisissable. Des éléments liés à la trajectoire personnelle interviennent : la résilience, la recherche de la solitude, puis l’isolement comme un moyen de rester connectée avec le milieu ambiant.
Les conditions sont réunies. Alors que l’œil ne suit plus le flux du torrent, l’objectif en scrute la surface, la main l’immobilise mue par une sorte d’instinct. Débarrassé des impérieux réglages et des mises au point qu’autorise l’usage du numérique, un focus isole des phénomènes optiques qu’offre la réfraction de la lumière dans l’eau, une sorte de « déformation créatrice » emportant avec elle toutes tentatives de figuration dans la dissolution de la ressemblance.
Tout ce qui parsème le fond du lit de la rivière est patiemment extrait de son contexte afin de proposer une nouvelle image jusque-là inconnue, parcelle infime de la réalité modifiée par l’effet miroir de la surface et par un changement d’échelle. Les limites de ce monde invisible sont sans cesse repoussées à chaque incursion afin que l’œil explore les multiples possibilités d’un monde imaginaire, infini, peuplé de « créatures », qu’entretient un dialogue intérieur avec l’expérience de création.
La référence à la peinture convoquée par la mémoire et les souvenirs est une source indirecte d’inspiration.
L’artiste derrière l’objectif se laissant aller à l’instantanéité de la prise de vue se saisit de la couleur comme élément de composition se dispensant de la ligne pour structurer un espace sans profondeur, ni perspective. La photographie est un champ clos où les bleus, violets, carmins, ors exubérants se combinent en une palette aux nuances inépuisables, nourries d’un feu sous-jacent comme autant de tâches vibrantes que seule la nature est à même de proposer et d’organiser. Si la peinture est imitation de la nature, l’art de Brigitte Fort s’efface devant elle pour témoigner de ses plus brillantes compositions. Il en résulte une forme d’abstraction fondamentalement expressive en tant que vecteur d’une vie non-organique et délicieusement impressionniste dans le chaos de la couleur.
Brigitte Fort accueille le hasard, l’accident qui fera basculer le simple ruisseau vers une nouvelle réalité que le tirage papier rend enfin concrète. L’artiste opte pour une photographie non recadrée car c’est encore une fois, en convoquant la peinture qu’elle trouve une dernière inspiration pour composer une image qui, dans sa frontalité s’offre comme un tableau.
Marie-Hélène Solère-Sangla – 20 décembre 2023.